Les actions en contestation du lien de filiation

« Il ne suffit pas de produire de la chair humaine encore faut-il l'instituer ». Pour cette phrase, Pierre Legendre mettait en avant la réalité de la personnalité juridique au sein de la société. Dès sa naissance, l'enfant est soumis à des règles de droit, mais ceci s'il est réputé né vivant et viable et que sa naissance ait été constaté par un officier d'état civil. En plus de l'heure, la date et le lieu de naissance, sera précisé à côté de l'acte d'état civil, et en plus de l'acte de naissance émargé, son lien de filiation, ses parents.

Par ce lien, l'enfant est institué non plus au sein de la société, mais dans un cercle plus restreint, la famille. La filiation peut se définir comme un lien qui unit l'enfant à ses père et mère et produisant des effets juridiques. En effet, par ce lien, l'enfant acquiert des droits et des obligations. La filiation est la plupart du temps révélatrice d'un lien du sang présent entre deux individus. Le droit régissant la filiation est un droit complexe qui impose de nombreuses règles en matière d'actions judiciaires. Les dites actions permettent soit d'établir, de constater un lien de filiation préexistant soit de le contester. Le législateur quel qu'il soit met en place un droit d'agir en justice afin de faire coïncider le lien juridique qui unit l'enfant à ses parents et la réalité biologique acquise par le droit du sang (jus sanguinis).

Les actions relatives à la filiation ont progressivement évoluées de 1804 à nos jours, passant par de profondes transformations. En effet, à sa création, le code civil avait comme élément constitutif principal le régime matrimonial. Aussi, le législateur à cette lointaine époque, a élaboré des actions différentes selon la qualité de la filiation, quelle soit légitime ou naturelle.

Avant l'ordonnance du 4 juillet 2005, les possibilités d'agir en justice pour modifier un lien de filiation préétabli étaient multiples, et dépendaient de cette distinction. L'ordonnance de 2005 a unifié le droit de la filiation et a redéfinie ses conditions pour tenir compte de l'abandon de la distinction entre filiations légitime et naturelle . Elle met en avant des actions en contestation selon les différents moyens mis en œuvre pour établir la filiation (acte de naissance, acte de reconnaissance ou acte de notoriété constatant (article 310-1 du Code civil)).

Toutefois, La contestation de la filiation suppose depuis toujours en droit français l'exercice d'une action en justice. L'ordonnance du 4 juillet 2005 a donc modifié et unifié les solutions. Elle nous amène vers une sécurité juridique en bouleversant les conditions des modes de contestation de la filiation [I] et en rétablissant les divers effets de la contestation de la filiation [II].

    I. Les conditions des modes d'action en contestation de la filiation

Renonçant à la diversité et à la complexité qui régnaient en la matière, l'ordonnance de 2005 a mis en place une action générale en contestation de la filiation. Elle en suspend le succès à la preuve du défaut d'accouchement dans la branche maternelle et à celle de la non-paternité dans la branche paternelle. En effet, actuellement, la preuve peut être apportée par tous moyens, dont l'expertise scientifique. Ainsi, « la maternité peut être contestée en rapportant la preuve que la mère n'a pas accouché de l'enfant » et « la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père » (article 332 du Code civil).

L'action en contestation de filiation obéit à un régime différent selon que la filiation attaquée repose sur un titre et une possession d'état conforme, sur un titre nu (absence totale de toute possession d'état) ou sur une possession d'état constatée par un acte de notoriété. Dans la première hypothèse, les possibilités de contester la filiation sont restreintes. Elles ne s'ouvrent ainsi qu'au profit de certaines personnes spécialement désignées par la loi (l'enfant, son père ou sa mère et son prétendu véritable auteur) (« lorsque la possession d'état est conforme au titre, seuls peuvent agir l'enfant, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable » : article 333 alinéa 1). Par parent véritable, il faut entendre le parent dont la filiation biologique est susceptible d'être établie. Pour lui, la destruction de la filiation existante constitue un préalable indispensable à l'établissement de sa propre filiation. Les deux actions s'entremêlent, puisque le droit d'agir et donc le résultat de l'action sont liés à la preuve de la paternité ou plus rarement de la maternité (mère porteuse ou naissance sous X) prévue à l'article 332 du Code civil.

Elles doivent s'exercer dans le délai raccourci de cinq ans à compter de la cessation de la possession d'état (« l'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté » : article 333 alinéa 1). La filiation échappe même à toute possibilité de contestation au cas où la possession d'état considérée a duré plus de cinq ans (article 333 alinéa 2 : « Nul, à l'exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement »). La stabilité de la filiation paternelle ou maternelle, en mariage ou hors mariage, établie à la naissance par le seul effet de la loi (règles de présomption : mater semper certa et pater is est) ou par reconnaissance, est donc assurée. Par cela même, la filiation est inattaquable.

Dans la deuxième hypothèse, la filiation s'expose à une contestation facilitée. Tout intéressé peut ainsi la combattre dans le délai de droit commun de dix ans à dater de la naissance ou reconnaissance de l'enfant (article 334 du Code civil : à défaut de possession d'état conforme au titre, l'action en contestation peut être engagée par toute personne qui y a intérêt dans le délai prévu à l'article 321).

Enfin, dans la troisième hypothèse, l'action en contestation s'ouvre au profit de tout intéressé dans le délai de cinq ans à dater de la délivrance de l'acte de notoriété constatant la possession d'état à l'origine de la filiation attaquée (article 334 du Code civil : la filiation établie par la possession d'état constatée par un acte de notoriété peut être contestée par toute personne qui y a intérêt en rapportant la preuve contraire, dans le délai de dix ans à compter de la délivrance de l'acte). L'action est donc largement ouverte ; l'ordonnance de 2005 consacre en la généralisant l'action créée par la jurisprudence sur le fondement de l'article 322 a contrario.

Mais s'il appartient aux juges de trancher la question, il reste que, quel que soit son objet, la contestation intentée sur ce fondement peut aboutir à anéantir la filiation, indirectement dans un cas, directement dans l'autre. Dans tous ces cas de figure, conformément à l'article 334 du Code civil, le ministère public est lui-même et admis à agir en contestation de la filiation. Mais la loi exige pour l'y autoriser que des indices tirés des actes eux mêmes rendent le lien attaqué invraisemblable (exemple : écart d'âge insuffisant entre l'enfant et le prétendu parent) ou qu'il y ait eu fraude à la loi (exemple : reconnaissance de l'enfant né d'une mère porteuse par une autre femme).

Si l'action est accueillie, il y a rupture du lien de filiation provoquant ainsi de graves conséquences.

    II. Les effets des actions en contestation de filiation

L'article 337 du Code civil dispose que « lorsqu'il accueille l'action en contestation, le tribunal peut, dans l'intérêt de l'enfant, fixer les modalités des relations de celui-ci avec la personne qui l'élevait ». En effet, si le juge remet en cause une filiation établie, il peut toujours décider que l'enfant conservera des liens avec la personne qui jusque-là l'élevait. Ainsi, le succès de l'action en contestation de la filiation tend à anéantir rétroactivement le lien juridique de parent à enfant initialement établi entre les intéressés. L'enfant est juridiquement étranger au parent dont la filiation est attaquée. Le jugement est mentionné en marge de l'acte de naissance et seul est en cause le lien de filiation contesté. Il en résulte plusieurs conséquences : tout d'abord, l'enfant perd le nom du parent duquel il se détache. Cette déchéance suppose toutefois son consentement s'il est majeur en application de l'article 61-3, alinéa 2 du Code civil.

Ensuite, le parent évincé n'a plus aucun droit et devoir vis-à-vis de l'enfant. Il n'est plus titulaire à son égard de l'autorité parentale. Néanmoins, un droit de visite et d'hébergement peut lui être accordé pour empêcher toute rupture brutale des liens affectifs antérieurement tissés, si l'intérêt de l'enfant l'exige. Par ailleurs, le parent écarté peut demander le remboursement des sommes qu'il a dépensées aux fins de contribuer à l'entretien et l'éducation de l'enfant. Cette possibilité lui est toutefois fermée s'il est l'auteur d'une reconnaissance sciemment mensongère et prend lui-même l'initiative de contester la filiation qui en résulte. Il est même tenu dans ce dernier cas de réparer le préjudice qu'il cause à l'enfant en renonçant à respecter les engagements qu'il avait initialement pris à son égard en le reconnaissant, ceci depuis l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation le 21 juillet 1987. De plus, conformément à l'article 336-1 du code civil, « lorsqu'il détient une reconnaissance paternelle prénatale dont les énonciations relatives à son auteur sont contredites par les informations concernant le père que lui communique le déclarant, l'officier de l'état civil compétent en application de l'article 55 établit l'acte de naissance au vu des informations communiquées par le déclarant. Il en avise sans délai le procureur de la République qui élève le conflit de paternité sur le fondement de l'article 336 ».

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